A l'image du pays post révolutionnaire où toutes les règles et les mécanismes sont remis à plat et rediscutés, et les rôles redéfinis et redistribués, le secteur du tourisme, dans au moins une de ses composantes, à savoir les agences de voyages (AV) qui vendent la Omra, n'échappe pas à cette logique.
Beaucoup d'agences de voyages revendiquent, à tort ou à raison, la libéralisation de cette activité. Même les AV qui n'étaient pas totalement d'accord sur la manière d'opérer cette libéralisation ne voyaient dans celle-ci que le seul aspect de possibilité de choisir le produit personnalisé pour chaque type de client.
Un optimisme bon enfant a enveloppé toute la profession: toutes les AV partageaient la conviction qu'une fois le domaine de la SNR (ex-Montazah Gammarth) effrité, le monde nagerait dans le bonheur. Les AV ont diabolisé la SNR et l'ont jeté en pâture aux médias avides de scoop et de sensationnalisme. Même le client final, le pèlerin, a été sciemment impliqué par les AV pour remporter le combat de la libéralisation.
Défendre la SNR n'est pas de mon ressort, mais être objectif et honnête tel est mon devoir.
Même s'il est vrai que la SNR a fait beaucoup d'erreurs tactiques et d'erreurs stratégiques et qu'elle était insuffisamment structurée pour une mission monopolistique, et des faits innombrables peuvent être présentés pour illustrer un grand nombre de lacunes très graves durant ses 15 années d'existence, mais il faut avoir l'honnêteté intellectuelle pour reconnaître qu'elle a aussi indirectement sauvée un grand nombre d'AV d'erreurs qui leur sont imputables : le rôle du "méchant" a été patiemment associé au nom de Montazah Gammarth durant les 15 dernières années: toutes les erreurs dans la gestion de la relation directe entre l'AV et ses clients étaient collées d'office à MG et ceci était possible car la méfiance populaire était bâtie sur des images négatives fortes, dont certaines étaient établies et vérifiées et d'autres "créées" : du genre MG appartient à la famille Trabelsi (ce qui est archi-faux, mais beaucoup d'AV n'ont rien fait pour corriger cette erreur car elle leur assurait le beau rôle aux côtés du pèlerin et leur permettait de camoufler certaines de leurs erreurs vis-à-vis de leurs clients en rejetant toute la responsabilité sur le grand méchant loup, à savoir la SNR désignée comme l'instrument des Trabelsi ).
Par souci de vérité historique il faut souligner que cette entreprise a été instrumentalisée par l'ancien pouvoir pour contrôler toute activité liée à la religion. C'est dans cet esprit qu'il y a eu la nomination d'anciens cadres du ministère de l'intérieur, tel cet ancien gouverneur à la tête de cette entreprise, et cet ancien délégué à la tête de la direction Hajj et Omra.
Nous ne pouvons pas ne pas mentionner le mystère total, l'opacité entourant les taux de marges que s'octroyait cette institution alors que d'après ses statuts elle ne peut se livrer à une activité génératrice de profits.
De combien était cette marge? Dans les années 1999 et 2000 elle était portée contractuellement à la connaissance de toutes les AV. Ensuite à partir de 2001, elle n'a plus été mentionnée sur les états tarifaires communiqués aux AV, mais ces dernières savaient que les sommes que se réservaient la SNR étaient substantielles. Ceci n'était pas difficile à deviner pour les AV du fait de leur connaissance des fourchettes de tarifs pratiquées par les opérateurs saoudiens.
Où allait tout cet argent? Y avait-il de l'argent perçu hors-contrat? Cet argent servait-il à alimenter une caisse noire de la présidence de la république? Jusqu'à quelle hauteur les mains des Trabelsi étaient dedans? Voilà un échantillon des questions que se posaient les AV et les citoyens-pèlerins! Il y avait là tous les ingrédients d'un feuilleton à grande sensation:
- Beaucoup d'argent qui se calcule en milliards amassé sur le dos d'innocentes personnes qui vont accomplir un devoir religieux;
- Un pouvoir politique fortement impliqué dans cette opération;
- Des cadres sécuritaires à la tête de l'institution gestionnaire;
Une organisation monopolistique qui ne fait aucun cas et n'a aucune considération pour le citoyen-pèlerin.
Le politique, le financier et le religieux se mêlent allégrement dans ce roman de politique-fiction pourtant bien réel. Comme image négative de la SNR on ne peut pas faire mieux avec toute la bonne volonté du monde. Même le fameux JR du célèbre feuilleton américain Dallas ne peut faire mieux en matière de cynisme et d'image négative: la SNR est malade de sa propre image! Peut-on dans ces conditions en vouloir aux citoyens-pèlerins qui, à tort ou à raison, déversent leur colère et leur frustration sur cette institution?
La responsabilité de l'image de la SNR
Toutes choses étant égales par ailleurs, qui peut influer en interne sur l'image de marque de la SNR ? Outre tout le staff administratif à Tunis et le staff opérationnel sur le terrain aux lieux saints, il y a bien sûr, et avant tout, le 1er responsable de l'entreprise.
Historiquement, durant les 15 années d'existence de Montazah Gammarth-SNR, se sont succédés à la tête de cette institution trois premiers responsables.
Le premier vient de décéder il y a seulement quelques jours et je profite de cette occasion pour réitérer à sa famille mes sincères condoléances en priant Dieu de le prendre dans sa grande miséricorde! Beaucoup d'AV vouaient beaucoup de respect pour ce personnage parce qu'elles pensent qu'il avait les mains propres et qu'il ne leur était pas franchement hostile.
Il fut chargé par le président déchu de mettre en place une institution copiée sur l'ex SHTT-Tourafric pour organiser pour le compte de l'Etat l'activité Omra sur un modèle monopolistique.
Mettre au pas les AV récalcitrantes et les amener à passer du stade de producteur de voyages religieux (voyagiste) au rôle de simple intermédiaire-détaillant dans la chaîne de distribution de ce produit, était sa première mission. Fort de tout l'appareil réglementaire et coercitif des ministères de l'intérieur et du tourisme de l'époque il réussit bien sa mission qui s'inscrivait dans les orientations politiques du régime de l'époque, caractérisées par un système politique centralisateur ainsi qu'une méfiance systématique sur tout ce qui se rapportait à la pratique religieuse.
Ce premier responsable n'a pas hésité, à l'époque où cela était encore possible, de proposer aux AV jusqu'à 10 opérateurs saoudiens différents, permettant ainsi aux AV la liberté de vendre tel ou tel produit, ce qui permettait de segmenter le marché et de personnaliser l'offre. En homme honnête et intègre qu'il était, après avoir privé les AV de la liberté contractuelle qu'elles avaient sur injonction de l'ancien régime, il avait pris bien soin de présenter plusieurs opérateurs saoudiens durant la même campagne avec une liberté de choix pour les AV. La seconde chose à mettre à son actif est la publication de la marge que s'octroyait la SNR à l'époque. La troisième chose à mettre à son actif est qu'il a été "écarté" sans ménagement par l'ancien régime, ce qui vaut consécration.
La dernière période de la fin de son mandat a néanmoins commencé à voir le ternissement de l'image de la SNR et une vague de mécontentement de la part des AV et des citoyens-pèlerins.
La prise en main totale de Montazah Gammarth par la machine politico-financière de l'époque est survenue avec la nomination du 2ème haut responsable de cette institution. Ce personnage à plaindre a trop misé sur l'ancien régime. Il a été grisé par son ascension fulgurante dans l'appareil sécuritaire de l'Etat, suivi de sa nomination à la tête de cette institution, ainsi que de sa désignation comme conseiller auprès de la présidence de la république. Tout semblait lui réussir, ce qui lui a fait perdre le sens de la mesure et de la retenue. Ce fut un coup dur pour l'image de la SNR.
Ce responsable utilisait sciemment un langage peu conventionnel, déplacé pour le titulaire d'une pareille position à la tête d'un organisme à vocation religieuse : un mélange d'intimidation, de décisions arbitraires et de "fait accompli".
Son rôle se résumait à créer les conditions parfaites pour la mise au pas finale des Agences de Voyages : avec lui il n'y avait presque plus de voix discordantes, les AV bêlaient toutes d'une même voix. Il a utilisé largement la politique du bâton et de la carotte appliquant l'intimidation avec beaucoup de désinvolture dans les réunions et offrant des "largesses" à certaines agences "proches" (Frais de dépôt des passeports moins lourds; politique des yeux fermés vis-à-vis de certains groupes partant pour la Omra et rentrant après le Hajj; octroi de visas Hajj...).
Ce qui a historiquement largement aidé à l'émergence de ce que certains appellent aujourd'hui "les grands" (i.e. les AV ayant un fort potentiel d'activité Omra). Tout système totalitaire crée une nouvelle classe de favoris du régime qui lui sert de vitrine et qui est mobilisable à volonté pour défendre ses valeurs. L'image de la SNR a à ce moment là fini de sombrer, mais elle n'avait pas encore touché le fond car il fallait encore une action forte et spectaculaire impliquant les clients-pèlerins.
La série de l'intimidation devait connaître son geste de gloire le jour où ce 1er responsable de la SNR a utilisé dans un hôtel de La Mecque un langage très persuasif avec un citoyen-pèlerin qui refusait de loger dans cet hôtel et qui revendiquait plus haut que les autres : l'argumentaire de ce responsable pour ramener le client sur la voie de la raison se résumait à la règle des 5 doigts appliqués à la joue du client. La logique était si forte que tous les clients ont fini par trouver finalement l'hôtel pas si mal que ça! Ne dit-on pas que ce qui compte c'est le résultat ?
Effectivement le résultat est une image négative de plus à l'actif de la SNR qui a franchi un nouveau pas, alternant le châtiment physique à l'intimidation.
Ce second haut responsable de la SNR a été comme son prédécesseur écarté par l'ancien régime, mais certainement dans des conditions moins glorieuses.
Le 3ème haut responsable à la tête de la SNR jouit encore du bénéfice de l'état de grâce.
Son parcours n'est pas exempt d'erreurs mais nous n'avons pas encore assez de recul pour porter un jugement définitif sur son action. Dans sa recherche de repères on peut accepter quelques égarements, mais il faut se garder de profiter de certaines situations pour créer le fait accompli et effacer d'un coup de balai des clauses et des compromis durement acquis par les AV dans le passé (tel le changement opéré unilatéralement sur les conditions d'octroi des gratuités pour l'hébergement; la facturation obligatoire de l'hébergement pour les clients dont le visa est refusé; la facturation de l'hébergement dés le dépôt des passeports pour la demande de visas...).
Les relations qui doivent s'établir actuellement entre la SNR et les Agences de Voyages, dans cette période post-révolutionnaire, doivent éviter la politique du fait accompli et des mesures arbitraires. La nouvelle direction doit opérer une nouvelle doctrine conforme aux nouvelles donnes du pays : rien n'est plus comme avant! Beaucoup d'opérateurs demandent la libéralisation de l'activité; un autre grand nombre, tout aussi favorable à cette demande souhaite un nouveau rôle à jouer par la SNR. Le secteur a besoin d'une SNR forte, avec une image positive et une philosophie de gestion en rupture avec le passé, pour assumer le rôle de régulateur du nouveau marché de la Omra. Le souhait d'un très grand nombre d'Agences de Voyages est de voir la SNR au rendez-vous de l'histoire. Son organe de gestion doit envoyer en direction des AV et des citoyens-pèlerins un message fort de changement positif en engageant cette institution sur la voie de la certification ISO pour la qualité de service.
Cordialement votre
Faouzi Mejdoub
Email : faouzi.mejdoub@live.fr
GSM: 20 341 693
Prochain article : Tunisair: y a-t-il un pilote dans l'avion ?
Tous les articles seront sur mon Blog: www.specialtourisme.blogspot.com
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